communication responsable
Le jargon, un outil de domination ?
Réflexion d’une dirigeante engagée pour une communication accessible à toutes et tous
Dans cet article, elle prend le temps d’examiner une posture trop souvent banalisée : celle qui consiste à utiliser un langage inaccessible. Car derrière cette pratique se joue bien plus qu’un simple choix de mots.

Le jargon, miroir de nos privilèges
Les mots ont du pouvoir. Ils créent des ponts ou creusent des fossés. Dans le monde professionnel, le jargon est partout : anglicismes, acronymes, formules techniques… Il a ses adeptes, ses défenseurs et ses critiques. Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’est jamais neutre.
Quand un professionnel utilise un langage inaccessible face à une personne moins experte, il ne s’agit pas d’un simple « style » ou d’un gain de temps. Il s’agit d’un acte de communication qui peut renforcer des inégalités. Dès la création de SAMBA, que je souhaitais responsable et inclusive, j’ai choisi d’interroger les pratiques, les mots, les postures. Et de considérer qu’il est de notre responsabilité de rendre compréhensibles les messages, les concepts, les dispositifs.
Un outil de déséquilibre (et parfois de domination)
Un pouvoir symbolique qui exclut
Le jargon fonctionne souvent comme un code d’entrée réservé. Il donne le sentiment d’appartenir à un groupe « qui sait ». Et, à l’inverse, il peut mettre en insécurité celles et ceux qui ne comprennent pas. Face à un discours truffé de termes techniques, une personne peut rapidement se sentir « bête », illégitime ou passive. Ce déséquilibre est renforcé quand la personne qui parle en a conscience et choisit de ne pas s’adapter.
Les personnes formées dans les mêmes écoles ou les mêmes cercles, partagent les codes. Il arrive souvent que les personnes hors de ces réseaux ne puissent s’extraire d’une position de spectateurs ou de suiveurs. Le jargon faisant partie intégrante de ces code, on peut considérer qu’il contribue à reproduire des rapports sociaux inégalitaires.
La rhétorique d’autorité
Employer un jargon dense permet parfois d’éviter les remises en question. En se drapant dans une langue experte, on coupe court à la discussion. On impose un cadre. On évite d’expliquer ou de justifier. Ce mécanisme peut s’apparenter à une forme douce (et parfois inconsciente) de domination intellectuelle. Il installe une hiérarchie implicite : moi, je sais ; toi, tu écoutes.
On trouve de bons exemples dans le domaine médical :
« Vos résultats indiquent une polyarthrite rhumatoïde séropositive débutante, avec atteinte bilatérale des articulations métacarpophalangiennes. On va mettre en place un traitement de fond par méthotrexate, avec surveillance hépatique et numération hebdomadaire. »
Qui pourrait être dit ainsi :
« Vos douleurs aux mains sont dues à une maladie inflammatoire appelée polyarthrite. C’est une maladie chronique, mais on l’a détectée tôt. On va commencer un traitement qui agit en profondeur pour freiner l’inflammation. Il faudra faire des prises de sang régulièrement pour vérifier que tout se passe bien. On prend le temps ensemble de vous expliquer tout ça si vous le souhaitez.

Vulgariser : une compétence professionnelle (et un acte politique)
Être clair et faciliter pour être véritablement « au service de ».
On confond souvent complexité du fond et complexité de la forme. Pourtant, ce sont deux choses différentes, un sujet peut être complexe tout en étant bien expliqué. Vulgariser, ce n’est pas simplifier à l’extrême, c’est choisir les mots justes pour rendre un contenu accessible à la personne en face, selon son contexte, ses connaissances, son expérience.
Être professionnel, ce n’est pas étaler un savoir, c’est savoir le transmettre. Se mettre à la place de l’autre, chercher à se faire comprendre, adapter son vocabulaire : voilà à mes yeux les vrais marqueurs d’une posture d’écoute, de respect et de service.
Communicant, chercheur, travailleur social, médecin ou consultant, tous ces métiers de la transmission ont une responsabilité. Quand on choisit de ne pas rendre son langage accessible, on fait un choix politique : celui d’un entre-soi, d’une hiérarchie, d’un pouvoir asymétrique.
Quand on rend un savoir compréhensible, on outille la personne qui le reçoit. On l’aide à s’emparer d’un sujet, à prendre part à un débat, à faire des choix. C’est un levier d’émancipation. Et donc, un acte politique.
Vulgariser, c’est encapaciter (oups c’est du jargon !), c’est donner le pouvoir.
Une posture de communication, pas juste une méthode
« Déjargonner » n’est pas une coquetterie
Aujourd’hui, beaucoup d’agences ou de marques se revendiquent responsables. Mais combien interrogent réellement leur langage ? Combien sont vigilants à la clarté, la lisibilité de leurs livrables, leurs dispositifs, leurs outils ?
La mode est au storytelling anglicisé, aux chartes à rallonge, aux concepts opaques mais une communication responsable ne peut absolument pas se baser sur un effet waouh. Elle se doit de viser l’impact réel, l’accessibilité, l’utilité. Le soin porté à l’accessibilité fait partie intégrante du métier et il mérite du temps, de la méthode, de l’exigence.
Chez SAMBA, nous n’avons pas « ajouté » la question de la compréhension a posteriori. Elle a été une évidence dès le début : c’est une posture, pas une option. Une posture fondée sur l’idée que chaque mot, chaque tournure, chaque livrable doit être au service des personnes, et non l’inverse.
Cette conscience peut paraître anecdotique, mais elles a son importance et fait la différence. Cela se perçoit dans la manière dont nous nommons nos offres, dans les interfaces que nous concevons, dans nos prises de parole publiques. Nous pensons qu’une communication inclusive et responsable ne peut être crédible que si elle est cohérente.
Les mots ne sont jamais neutres. Ils construisent nos réalités. Dans un monde traversé par des inégalités d’accès au savoir, à l’information, à la parole, faire le choix d’un langage compréhensible, accessible, respectueux est un acte fort. Ce n’est pas un supplément d’âme, c’est une exigence professionnelle, politique et éthique.
Chez SAMBA, nous pratiquons une communication qui donne du pouvoir d’agir. Une communication qui ne brille pas pour elle-même, mais qui éclaire. Une communication qui relie.